NCAA : six mois plus tard, encore beaucoup de questions
MONTRÉAL – Depuis 15 ans, presqu'à chaque printemps, Claude Morin organise le camp Apex, un événement de trois jours pour lequel une dizaine d'entraîneurs de la NCAA se déplacent afin de venir observer et rencontrer de potentielles recrues. L'édition 2025 de cette vitrine d'évaluation était inédite puisque sa liste d'inscriptions, longue d'une centaine de noms, incluait une demi-douzaine de joueurs de la Ligue de hockey junior Maritimes Québec.
En novembre dernier, la NCAA a amendé l'un de ses règlements afin de rendre admissibles à ses programmes de première division les joueurs évoluant dans les trois circuits juniors majeurs de la Ligue canadienne de hockey (LCH). La décision a provoqué des bouleversements aussi variés qu'instantanés.
Les gouverneurs de la BCHL, une ligue de calibre junior A considérée comme un lien couru vers la NCAA, ont convoqué une réunion d'urgence. Quelques mois plus tard, la ligue perdait deux de ses marchés au profit de la Ligue junior de l'Ouest (WHL).
En février, deux mois après l'annonce, la LHJMQ avait rapatrié 35 joueurs qui s'étaient autrefois exilés aux États-Unis ou dans l'Ouest canadien pour conserver leur admissibilité dans les universités américaines.
Vendredi dernier, dans un vestiaire du Complexe récréatif Gadbois, les secousses du séisme se faisaient encore ressentir. Peut-être la présence d'un journaliste a-t-elle contribué à commencer la discussion, mais personne, parmi les six entraîneurs rencontrés par RDS, ne s'est fait prier pour l'alimenter.
Le sujet a embrasé les conversations comme s'il venait d'apparaître dans l'actualité : avec ferveur, mais avec encore énormément de questions sans réponses.
Entraîneur-associé à l'Université d'Omaha, Dave Noël-Bernier est un habitué des arénas québécois. Dans les dernières années, il a attiré Joaquim Lemay de Trois-Rivières, Jacob Guevin de Drummondville et Alexi Van Houtte-Cachero de Pointe-Claire au Nebraska. Il attend l'an prochain l'arrivée de Maxime Pellerin, qui évoluait cette saison avec les Redbirds de McGill, et à l'œil sur Vincent Desjardins de l'Armada de Blainville-Boisbriand pour 2026. Les deux avaient refusé ses avances dans le passé, mais les nouvelles règles lui ont permis de revenir sonder leur intérêt.
Depuis que Noël-Bernier et trois autres entraîneurs canadiens la dirigent, le nord de la frontière est un territoire de prédilection pour l'équipe de l'Université d'Omaha. « L'année prochaine on a quatre Américains, un Suédois et un Slovaque... Le reste, ce sont tous des Canadiens », calcule-t-il. Mais il s'attend à ce que la compétition soit plus forte dans les prochaines années.
« Ça a déjà commencé. Je suis allé voir les 2009 cette année [à la Coupe LHJMQ] à Boisbriand. Normalement, on est trois ou quatre universités américaines à cet événement. Cette année, il y en avait dix. »
Noël-Bernier est confiant que les contacts qu'il a établis dans sa province natale, en plus du fait qu'il peut s'adresser aux familles dans leur langue, continueront de lui donner une petite longueur d'avance. Mais même ces petits avantages ne lui sont plus exclusifs.
« Ouais, JF, il est dans les jambes là! », s'esclaffe-t-il. Il parle de Jean-François Houle, l'ancien pilote du Rocket de Laval, qui vient de compléter sa première saison à la barre des Golden Knights de l'Université Clarkson. Celui qui a dirigé pendant cinq ans dans la LHJMQ n'a pas perdu de temps avant de venir recruter en terrain connu. L'an prochain, son équipe comptera sur deux anciens de la « Q » et quatre anciens de la Ligue junior de l'Ontario (OHL).
« On est une des écoles les plus proches des lignes des États-Unis, alors pour nous, c'est une bonne chose, raisonne Houle. Ça agrandit le nombre de joueurs qu'on peut éventuellement aller chercher. On est à deux heures de Montréal, à une heure et demie d'Ottawa et à quatre heures de Toronto. C'est notre cour arrière et c'est là qu'on va faire le plus de recrutement. »
Période d'adaptation
Junior Lessard représente chaque année son alma mater au camp Apex. « Mais je ne suis pas un scout, moi! », rappelle le sympathique Beauceron, ancien récipiendaire du trophée Hobey Baker avec l'Université de Minnesota-Duluth. Sans confirmer le lien de cause à effet, Lessard était heureux d'être accompagné cette année, pour la première fois, par un membre du personnel d'entraîneurs des Bulldogs.
Cody Chupp a surtout l'habitude de recruter localement. L'an dernier, Minnesota-Duluth comptait dans sa formation 12 joueurs natifs de l'État du Hockey. Six autres provenaient du Mid-Ouest américain. Mais pour lui aussi, la donne change.
Chupp s'attendait par exemple à ce que la migration d'un paquet de joueurs de la réputée école préparatoire Shattuck St. Mary's vers la WHL plutôt que la United States Hockey League (USHL) complique sa tâche. La WHL lui étant moins familière, il lui sera moins évident, au départ, d'identifier avec précision les jeunes qui pourront le mieux s'adapter au hockey de la NCAA.
À la tête des Catamounts de l'Université du Vermont, Steve Wiedler a lui aussi fait le plein de nouvelles recrues dans le bassin de joueurs autrefois interdits. L'une de ses trouvailles est l'ancien choix de quatrième ronde du Canadien Cédrick Guindon. En raison de sa position géographique, les nouvelles règles lui ouvrent des portes auxquelles il ne peut se permettre de ne pas aller cogner. Mais pour lui aussi, cette manne apporte de nouveaux questionnements.
« On ne sait pas comment les habiletés de ces joueurs vont se transposer dans notre ligue. On joue un hockey différent. Les vétérans du junior majeur arrivent d'un environnement presque professionnel avec un calendrier plus chargé et moins de temps d'entraînement. Ici, il y a presqu'un mois entre le début de l'année scolaire et le début de la saison. Entre la vie sur le campus et l'ajustement à un nouveau style de jeu, ils auront beaucoup à apprendre. Mais ça sera une période d'apprentissage pour tout le monde. »
Il faudra attendre quelques années et laisser le temps à toutes les parties touchées de s'adapter avant de savoir dans quelle ampleur les gagnants de ce nouveau règlement en auront bénéficié et à quel point les perdants en auront souffert. Mais autant Steve Wiedler que Joe Howe, un entraîneur-adjoint à l'Université Yale, croient que les équipes moins prestigieuses comme les leurs pourront éventuellement être plus compétitives contre les géants de leurs conférences respectives.
« Les écoles du Big 10 continueront d'attirer les plus gros noms et les plus beaux choix de repêchage tandis que les plus petits programmes continueront d'attirer les joueurs un peu plus âgés et plus expérimentés, anticipe Howe. Mais maintenant, ce joueur plus âgé sera peut-être, par exemple, un gars du Québec qui vient de connaître une saison de 110 points à 19 ans. Les grosses écoles auront toujours plus de talent, mais je crois que l'écart sera rétréci. »
« Le bassin de joueurs vient de tripler et il n'y aura pas assez d'écoles pour tout le monde, extrapole Wiedler, dont l'équipe est en compétition avec les grosses pointures du Hockey East comme Boston University et Boston College. Il faudra faire nos devoirs et trouver les bons gars, mais il n'y a pas de doute que ça nous aide. »